Mater Earth

Prune Nourry a investi le domaine du Château La Coste avec Mater Earth, une installation immersive représentant une femme enceinte allongée sur le dos émergeant du paysage. Conçue en matériaux naturels, l'oeuvre nous ramène aux origines de l’humain et aux mythes de création, thèmes récurrents dans l’œuvre de l'artiste. La genèse de ce travail remonte à 2010, quand l’artiste propose à une femme enceinte de huit mois de poser dans son atelier, dans une piscine gonflable remplie de lait. Le liquide crée un horizon dont ne dépassent que certaines parties du corps : le ventre, la poitrine, les jambes, le coude et la moitié du visage. Prune Nourry photographie son modèle, puis s’en inspire pour réaliser une sculpture en argile à taille humaine, moulée, puis tirée en béton. Tout de suite, l’envie de produire cette œuvre à grande échelle afin de rendre la sculpture immersive s’impose à l’artiste, mais il faudra attendre plusieurs années et la proposition de Château La Coste pour qu’elle devienne architecture. Le choix du site est important, l’installation est visible depuis plusieurs points et de plusieurs manières : vue d’en haut et de l’intérieur. Les rondeurs de l’œuvre font écho aux formes des montagnes qui se profilent à l’arrière du site.

Plusieurs spécialistes ont contribué à ce projet tel que l’architecte Craig Dykers, de l’agence Snøhetta, avec qui Prune Nourry échange régulièrement à New York. L’artiste tenait aussi à collaborer avec un architecte engagé, conscient des questions environnementales et habitué à travailler à plus petite échelle sur des projets de construction spécifiquement en terre crue. C’est ainsi qu’elle a invité Wilfredo Carazas Aedo, architecte franco-péruvien installé en France, qui construit avec des matériaux naturels autour de la terre crue et intervient sur des projets de restauration tels que les mosquées de Tombouctou et Mopti. Clotilde Berrou et Marc Kauffmann, de l’agence marseillaise bkCLUB Architectes, orchestrent la cohésion de l’ensemble, des études aux travaux. C’est un projet « ultracollectif » mené dans une sorte de « chaos cohérent » et réunissant des molécules différentes qui ont fait sens les unes avec les autres au fur et à mesure de l’avancement du projet. Dès la conception du projet, Prune Nourry a souhaité utiliser au maximum des matières naturelles et locales. Depuis plusieurs années, elle collabore avec amàco (Atelier Matières à Construire), centre de recherche spécialisé dans la terre crue installé non loin de Lyon, pour développer des sculptures en béton de terre, moins impactant pour l’environnement que le béton. Le matériau terre est au centre de son travail depuis plusieurs années, tant au travers de la terre cuite, avec le projet monumental des Terracotta Daughters (2012-2030), qu’avec la terre crue. Par exemple, en 2014, elle avait construit une grande tête en forme de temazcal fonctionnel (hutte de sudation en terre crue issue de la culture préhispanique d’Amérique Centrale et du Nord, symbolisant l’utérus et utilisée pour des rites chamaniques de régénération). Elle avait aussi effectué en 2015-2016 plusieurs voyages au Chiapas avec l’anthropologue Valentine Losseau, dont est née l’exposition Anima à New York, au cœur de laquelle Prune Nourry avait réalisé une tête géante en adobe (argile mélangée à du sable et de la paille).

Pour Mater Earth, inspiré de ces mêmes temazcals, le spectateur entre à l’intérieur du ventre de l’œuvre où il est immergé dans un espace de recueillement. La seule source de lumière, outre l’entrée, se situe au niveau du nombril : c’est la clé de voûte de la structure, réalisée en verre plein. Sculpture à part entière, tout en transparence, elle est dotée de bulles pour que la lumière, en passant à travers, reflète un léger effet aquatique. Aussi, une recherche a été faite autour de l’acoustique (à travers les conseils de l’agence Arup - Raj Patel et Léonard Roussel) pour que le spectateur se concentre sur les battements de son cœur, comme plongé dans du liquide amniotique. Les formes ainsi créées, le son, la lumière et la terre, opèrent une sensation simple de retour aux sources. De la même manière que dans un temazcal traditionnel, l’entrée mesure 1m30 de haut et, comme une métaphore de l’utérus, il faut se baisser pour ressortir. Une fois dehors, le visage en pleine lumière, le visiteur aura peut-être la sensation d’une seconde naissance - d’une renaissance. En termes techniques, les fondations de l’oeuvre sont en pierre et mortier de chaux, la construction est en briques cuites et briques d’argile, soit 18 000 briques d’adobe (terre crue) fabriquées à la main au Château La Coste avec l’aide d’un cheval de trait, tandis que les mamelons et les yeux sont coulés en béton de terre; les enduits de finition sont à la chaux et à l’argile.

Mater Earth évoque la racine latine de « mère », de « maternité », mais aussi la matière (en anglais, « matter ») de l’argile. Elle fait aussi référence à cette idée urgente, en prise avec notre époque, que la Terre compte : « Earth matters » …

Vidéo

Mater Earth teasers - réalisation Vincent Lorca

Making Of